CHRONIQUE RELATIONS CANADA-ÉTATS-UNIS

Comment gérer un clown dangereux

Le président Trump s’est lancé avant-hier dans une attaque frontale contre le Canada comme on n’en avait pas vu jusqu’ici. Il a ciblé l’industrie laitière canadienne avec une agressivité qui est de mauvais augure pour la renégociation de l’ALENA.

Qu’est-ce qu’on fait quand on doit composer avec un pays 10 fois plus gros que nous, auquel nous sommes liés par une relation d’interdépendance à la fois profonde et inégale, et que ce pays est dirigé par un bouffon dangereux, un clown armé d’un bazooka ? Voici six façons de limiter les dégâts.

D’abord, on doit respirer par le nez. Donald Trump est un homme incohérent.

Il n’y a pas si longtemps, il parlait d’ajustements mineurs à l’ALENA avec le Canada, des « tweaks ». Mardi, c’était la charge : « très, très injuste, c’est une autre entente typique à sens unique contre les États-Unis ». Mais on sait qu’il peut changer d’idée, sa pensée évoluant au gré de ce qu’il a lu, ou surtout de ce qu’il a vu à la télé, de ce qu’on lui a dit sur un terrain de golf, de l’auditoire auquel il s’adresse, dans ce cas-ci le Wisconsin, au cœur de la grande région laitière américaine. Il faut donc attendre que la poussière retombe.

Travailler patiemment sur les faits, comme le font les représentants canadiens. Même dans cette ère de post-vérité, les faits comptent, du moins auprès des alliés et de l’entourage du président. Dans son attaque de mardi contre l’industrie laitière canadienne, il s’est trompé. Il est vrai que notre gestion de l’offre limite radicalement la capacité des États-Unis d’exporter au Canada leurs produits laitiers. 

Mais les producteurs américains avaient trouvé une échappatoire, avec le lait diafiltré, plus protéiné, qui n’est pas considéré comme du lait par les douanes canadiennes, et qu’ils ont pu vendre librement aux industries canadiennes, malgré la dénonciation de l’inertie d’Ottawa par nos propres producteurs laitiers. Ceux-ci ont finalement réagi en ramenant le prix de leur propre lait à un niveau normal. C’est cette logique de marché qui a affecté les fermiers américains.

Miser sur la complexité du système politique américain. Le pouvoir du président est limité par les contrepoids de la Chambre des représentants, du Sénat, des tribunaux. L’entourage du président s’est souvent dissocié de ses positions, et des élus républicains peuvent lui résister, comme dans le cas de l’Obamacare. C’est là que se concentrent déjà le lobbying et les efforts de persuasion du Canada, tout comme auprès des États et des industries qui profitent du commerce avec le Canada et qui en comprennent l’importance.

Montrer du muscle. Jusqu’ici, les représentants du gouvernement Trudeau marchent sur des œufs et prennent d’infinies précautions pour ne pas provoquer de réaction excessive chez ce président hors de contrôle. Il est sage d’éviter les escalades inutiles. Mais face à un « bully », ça peut devenir improductif. Il arrive un moment où il faut exprimer fermement son mécontentement, tracer une ligne dans le sable. Par exemple, mardi, M. Trump a signé un décret favorisant le Buy American, une mesure protectionniste contraire aux règles de l’Organisation mondiale du commerce, qui affecterait l’accès des entreprises canadiennes aux contrats publics. Il faudrait que quelqu’un dise clairement que c’est une décision injuste, incohérente et inacceptable.

Commencer à penser au remplacement du système de gestion de l’offre dans le lait, les œufs et la volaille. Ce système archaïque consiste à limiter les quantités produites pour maintenir les prix élevés en imposant des quotas aux producteurs et en fermant les frontières aux importations. Au lieu d’aider les agriculteurs par des subventions, on le fait en imposant des prix élevés aux consommateurs.

Ce système rend le Canada très vulnérable parce qu’il contrevient à toutes les règles de commerce international. Si j’ai souvent critiqué ce système, c’est parce qu’il est injuste pour les consommateurs et débilitant pour les producteurs, mais aussi parce qu’on ne pourra pas résister indéfiniment aux pressions de nos partenaires commerciaux. Mieux vaut le changer à notre rythme et à notre manière que d’y être forcé par d’autres.

Si les États-Unis poursuivent leur attaque, le Canada se retrouvera dans une position difficile.

Politiquement, les gouvernements ne peuvent pas abandonner ce système. Moralement, on ne peut pas non plus laisser tomber nos agriculteurs. Il faudra donc les défendre, en sachant que cela aura un coût, qui sera sans doute soutenu par d’autres industries. Mais le temps est venu de trouver un plan B.

Explorer d’autres registres. On se souvient que la visite officielle de Justin Trudeau à Washington ne reposait pas seulement sur des analyses politiques – pensons aux efforts pour séduire la fille du président, Ivanka, avec un projet de forum de femmes d’affaires. Il faut se rendre à l’évidence :  le monde, et le Canada aux premières loges, doivent composer avec un président américain qui a des problèmes de comportement et de compétences cognitives. Le gouvernement doit donc pouvoir compter sur des compétences d’un tout autre ordre.

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